En 2021, les assurtech ont battu des records : les levées de fonds ont été supérieures à celles des trois années précédentes et leurs parts de marché sont en forte croissance. À titre d’exemple, l’assurance habitation de Luko représente 25% des PDM de l’assurance en ligne tandis que l’assureur santé Alan a levé 185 millions d’euros en 2021.
La data et le digital sont au cœur du succès de ces acteurs de la nouvelle économie. En effet, ils peuvent ainsi répondre aux attentes fortes de simplicité, de réactivité et de flexibilité des consommateurs. Pour faire face à cette nouvelle concurrence et à l’accélération de la digitalisation des usages, les assureurs traditionnels n’ont d’autres choix que de se transformer et/ou de se rapprocher de start-up innovantes. Un impératif d’autant plus clair que les GAFAM se penchent également sur les sujets de santé. Pour continuer à rester compétitifs et trouver de nouveaux leviers de croissance, 4 tendances de fond ont été identifiées pour 2022 : accélérer sur la data et la technologie pour améliorer l’expérience client et l’efficacité opérationnelle, cibler des segments de clients à fort potentiel, développer les initiatives liées à la prévention des risques et prendre fortement position dans la lutte contre le réchauffement climatique.
La data et la technologie sont des leviers indéniables pour améliorer l’expérience client, optimiser les processus ou encore viser l’excellence opérationnelle… Il peut s’agir d’utiliser l’intelligence artificielle et l’IOT pour transformer la déclaration de sinistre ou encore la blockchain pour lutter contre la fraude et accélérer les processus. Une chose est sûre, la technologie sera au centre des parcours assurantiels des prochaines années.
140 milliards de dollars de revenus devraient basculer de l’assurance traditionnelle vers des produits digitaux d’ici 2025.
Améliorer l’expérience clientL’expérience client est l’un des premiers points de friction pour les assurances traditionnelles, souvent peu ou pas digitalisées. Or, les consommateurs attendent aujourd’hui de pouvoir souscrire et gérer leurs contrats facilement.
C’est pourquoi, la Canadian Premier Life Insurance a noué un partenariat avec Toronto startup PolicyMe pour proposer une souscription assurance-vie 100% online. La promesse ? Aucune paperasse, aucun appel téléphonique ou de rendez-vous avec un agent. La demande est acceptée en moins de 20 minutes, contre 4 à 6 semaines avec les processus de souscription normaux. De même, Generali s’est associé à la fintech Zalpha pour lancer « Zalpha Gen », un produit d’assurance vie comptant plus de 2 000 supports d’investissement. Cette offre exclusive repose sur la technologie Propilot, une forme d'intelligence artificielle développée par Zalpha depuis 2014, qui permet de simplifier au maximum le processus de décision pour les utilisateurs.
Automatiser les processusAu-delà de l’expérience client, c’est aussi « l’expérience employé » qui peut être optimisée grâce à l’IA. La technologie peut, en effet, automatiser certains processus très chronophages et assister les collaborateurs pour améliorer leurs performances. Ainsi, en Asie, Sun Life a équipé ses conseillers de Google Workspace, par exemple.
Des startups se sont également spécialisées dans le développement de solutions d’IA à destination des assureurs. C’est le cas de Shift Technology, jeune pousse française qui a levé 220 millions de dollars en 2021. Sa mission ? Aider les assureurs à automatiser les processus de déclaration et résolution de sinistres dans l'assurance IARD et santé. Contrairement à ses semblables qui concurrencent directement les acteurs historiques, la licorne française a choisi de travailler en collaboration avec Axa, CNA, Spirica, Harmonie Mutuelle ou encore Covea.
La data pour bousculer les modèles assurantiels traditionnels de tarificationDopés à la data, les services des acteurs de la nouvelle économie sont ultra-personnalisés. Les acteurs de l’assurance s’en inspirent pour attaquer un autre point de friction commun au secteur : des contrats d’assurances trop figés, peu adaptés aux besoins réels du client.
Ainsi, les tarifs de la plateforme Datafolio sont basés sur l'exposition réelle au risque et ses services de prévention, de protection et d’assistance sont sur-mesure. L’assurtech Leocare propose, quant à elle, des services de prévention basés sur l'observation des besoins des assurés. Celle-ci est notamment opérée par un bot baptisé TakeCare reposant sur de l’IA ainsi que sur l'open data fournie par l'Observatoire Interministériel de la Sécurité Routière. TakeCare peut alors alerter les automobilistes lorsqu'ils entrent dans des zones à risques pour prévenir les sinistres.
En 2020, le contexte de la crise sanitaire avait déjà mis en lumière la fragilité des petites structures. Depuis, les entreprises se redynamisent et ont un rapport au risque plus poussé. C’est pourquoi, la cible des professionnels et indépendants - déjà convoitée par les banques - devient un véritable levier de croissance pour les assureurs. Par ailleurs, ce changement culturel profond pousse les assureurs à se positionner non plus comme simples « garants » mais comme des partenaires de la gestion du risque. Parmi les nombreuses opportunités que cela représente, deux enjeux devraient être au cœur des réflexions en 2022 : la cybersécurité pour les petites entreprises et la prévoyance des indépendants.
En 2021, une entreprise sur six déclarait avoir risqué la faillite à la suite d’une attaque cyber, la preuve des conséquences catastrophiques de ces attaques.
La cybersécuritéVols de données confidentielles, ransomwares, paralysie des systèmes… Le nombre de cyber-attaques ciblant les entreprises est en croissance exponentielle. Même si les TPE semblent avoir conscience de l’existence des cyber risques, paradoxalement, peu d’entre elles s’équipent pour se protéger. Moins de 3 TPE/PME pour mille sont ainsi assurées contre le risque cyber, contre 87% pour les grandes entreprises.
Les assureurs ont donc un créneau de taille pour mieux accompagner leurs clients. Cela concerne la vente de cyber assurances mais également des services à valeur ajoutée : plateforme digitale, conseil, pédagogie, communication, et surtout prévention… En parallèle, cela implique de former le réseau à vendre ces produits et faire émerger la prise de conscience des professionnels à ce sujet.
Ainsi, la Société Générale s’est illustrée sur le sujet avec Oppens. Ce « coach cybersécurité des entreprises » conseille et accompagne les TPE et PME à travers une plate-forme digitale basée sur un auto-diagnostic, des recommandations personnalisées et un accompagnement d’experts.
Les travailleurs non-salariés (TNS) connaissent mal leur niveau de couverture réel : moins d’un indépendant sur deux souscrit un contrat de prévoyance et à peine un quart connaît les spécificités de son régime obligatoire de prévoyance.
Les 3 millions d’indépendants du territoire représentent donc une opportunité de croissance pour les assureurs. Toutefois, la prévoyance est un sujet technique, il faut maîtriser les subtilités des régimes obligatoires, différents selon les professions, pour proposer les niveaux de garanties les plus adaptés. De nouveaux entrants sur le marché surfent sur cette complexité. Ceux-ci proposent des stratégies diamétralement opposées de celles des acteurs historiques en simplifiant et en digitalisant les parcours de vente, tout en conservant la rigueur de la souscription.
En effet, vendre de la prévoyance était historiquement un métier d’expert. Mais le courtier Digital Insure prouve que sa démocratisation passe par la construction de parcours digitaux. Son offre simplifiée TNS Madelin propose un parcours 100% digital. Il suffit de renseigner quelques informations comme le numéro de Siret de l’assuré pour accéder automatiquement aux garanties de son régime obligatoire et dimensionner la couverture adaptée.
Easyblue s’est aussi attaquée à la clientèle des assurances professionnelles. Créée en 2019, elle propose une assurance basée sur des processus numériques plus fluides et plus rapides. Pour y parvenir, Easyblue fait appel aux technologies de l’intelligence artificielle et propose un coach virtuel d’assurance pour mieux cerner les besoins des chefs d’entreprise. Autres usages de l’intelligence artificielle : la réalisation d’audits de risques. Ces derniers permettent notamment de définir un programme d’assurance sur-mesure pour chaque client. Ces audits servent également à la détection de la fraude ou au développement de solutions prédictives.
Moins d’un indépendant sur deux souscrit un contrat de prévoyance et à peine un quart connaît les spécificités de son régime obligatoire de prévoyance.
Si les assureurs ont toute leur légitimité dans la gestion des sinistres, ils sont nombreux aujourd’hui à se positionner sur les accidents de la vie et à innover en matière de prévention pour mieux les éviter. Au cœur de cette nouvelle ambition : la data et l’Internet des objets (IoT).
Parmi les « accidents de la vie », les risques psycho-sociaux ont une part grandissante, notamment depuis la crise sanitaire. En 2021, 51 % des entreprises auraient été confrontées à un arrêt de travail dans le cadre de risques psychosociaux, soit une augmentation de 15 % par rapport à l’année 2020.
Le vieillissement de la population est également à prendre en compte. Entre 2017 et 2030, la population des +65 ans va croître de 3,7 millions d’individus. Or aujourd’hui, l’heure est au « bien vieillir » : les plus de 50 ans sont 96 % à se déclarer favorables à la médecine préventive, et 82 % des 18-24 ans reconnaissent que la prévention améliore la vie quotidienne, augmente l’espérance de vie et réduit le risque d’apparition de maladies chroniques.
La santé arrive en deuxième position des sujets les plus préoccupants des consommateurs pour préparer la France en 2025.
Jusqu’à présent, les modèles assurantiels étaient construits sur des données empiriques, classées par catégories, donnant une vision globale du risque. Les objets connectés, qui s’installent petit à petit dans le quotidien des consommateurs, ouvrent de nouvelles perspectives pour les assureurs. Ils permettent l’accès à de nouveaux types d’information, notamment en matière de santé : poids, tension, taux de glycémie… Une opportunité non négligeable pour proposer des programmes de prévention personnalisés aux assurés et un accompagnement humain adapté.
C’est le cas de la néo-assurance Alan qui souhaite « devenir le leader de la santé mentale en Europe ». Elle a notamment racheté l’application américaine Jour, spécialisée dans le bien-être, et lancé le service « Alan Mind ». Ce programme inclut la prise en charge de consultations, un suivi personnalisé avec des thérapeutes certifiés et contribue à la mise en place d’ateliers de prévention en entreprise. En 2018, Alan prenait déjà en charge des séances de méditation. Il en est de même pour AXA Partners avec son programme Angel. Ce service est basé sur une équipe dédiée de plus de 30 professionnels de santé disponibles pour répondre aux questions de l'assuré et celles de ses proches via un outil de messaging.
Des contraintes importantes pèsent toutefois sur le développement de l’usage de la data pour adapter les tarifs en fonction des besoins des personnes. Si la logique de « pay as you drive » est déjà présente dans l’assurance automobile, le « pay as you live » appliqué à la santé est plus difficile à mettre en place. En effet, si 9 Français sur 10 jugent important de proposer des programmes de personnalisation de la prévention, seuls 17% sont prêts à partager leurs données de santé avec leur assureur. Enfin, la réglementation française et notamment la Loi Evin1 « interdit l’augmentation du tarif appliqué à un assuré, en se basant uniquement sur l’évolution de son état de santé ». Il faut ajouter à cela l’attention particulière des régulateurs à la protection des données de santé.
Certains acteurs ont toutefois trouvé la façon de récompenser financièrement leurs assurés adoptant des gestes préventifs. La start-up Mutumutu propose à ses assurés de leur reverser une partie de leurs cotisations sous forme de cashback s’ils prennent de bonnes habitudes de vie. Il peut s’agir de pratiquer une activité physique régulière, arrêter de fumer ou faire des contrôles de santé préventifs. Ce positionnement rappelle celui de Generali lorsqu’il s’est associé à Vitality en 2016.
La sinistralité climatique, tous périls confondus, devrait augmenter de 93 % d’ici à 2050 et les primes pourraient ainsi gonfler de 130 à 200%. Cette flambée des tarifs pourrait être, à terme, insoutenable pour les assurés. En 2015 déjà, Henri de Castries alors président d’AXA, expliquait qu’un « monde à +2 °C pourrait encore être assurable, un monde à 4 °C ne le serait certainement plus ». Ici encore, les assureurs ont un rôle à jouer en matière de prévention. Ils peuvent, en effet, capitaliser sur leur expertise du risque et leur capacité à suivre et à visualiser précisément les sinistres grâce à la technologie : images satellites, tendances, etc. Ils sont alors les plus à même d’identifier les mesures d’adaptation à mettre en place dans le contexte de crise climatique. Les assureurs pourraient ainsi se positionner durablement comme les acteurs incontournables de la transition écologique.
La sinistralité climatique, tous périls confondus devrait augmenter de 93 % d’ici à 2050 et les primes pourraient ainsi gonfler de 130 à 200 %.
Allianz a par exemple développé, en partenariat avec Météo France, un service de prévention des risques d’inondations et de foudre. Celui-ci apporte à l’ensemble de ses clients « entreprises » des alertes préventives mais aussi des conseils pratiques personnalisés sur les mesures et actions à mettre en œuvre.
Pour AXA, la formation est clé pour accélérer la transition des entreprises. Elle permet d’engager les collaborateurs tout en les faisant monter en compétence. AXA Climate, entité du groupe AXA, a ainsi lancé en 2021 une offre de formation aux enjeux environnementaux. Une expérience d'apprentissage en ligne conçue par leur pôle scientifique. En octobre 2021, 30 000 personnes avaient déjà été formées, des employés de Marsh en passant par les élèves d’HEC.
Face au succès fulgurant des assurtech et l’intérêt certain des géants du web au secteur bancassurance, les assurances dites « traditionnelles » doivent impérativement se transformer. Une évolution à marche forcée qui passe à la fois par un équipement en solutions technologiques et data, le recrutement et la formation d’experts internes, le développement de nouveaux services… mais aussi, de plus en plus souvent, par des partenariats forts avec des jeunes pousses spécialisées sur différentes problématiques du secteur. Ces 4 tendances fortes font assurément parties des feuilles de route des assureurs historiques qui sauront, demain encore, faire la différence.
Par Marie-Sarah Gastou, Strategy Consultant chez Equancy